traveller_76 said:
Monsieur Montana (Parisien?), vous semblez savoir de quoi vous parlez
Intéressée à connaitre le fond de votre pensée sur le sujet
Savoir de quoi je parle dans le sens que j'aurais une connaissance particulière, voire spécialisée, du sujet qui me ferait poser comme une autorité en la matière? Vraiment pas. J'ai cependant deux choses à mon actif que je veux bien partager en avertissant cependant que le commentaire que je suis sur le point de faire ne devrait aucunement remplacer un diagnostic médical, pour aussi peu que quelqu'un, ici, ressente le besoin de consulter.
Précautions oratoires faites, il y a deux auteurs qui sont à l'origine de ma réflexion: le premier est un psychiatre et neurologue contemporain que j'ai très peu lu,
Boris Cyrulnik, dont une grande partie de l'oeuvre est marquée par le thème de la "résilience", et un romancier français du début du XXe siècle, Marcel Proust, dont l'oeuvre cathédralesque intitulée
A la recherche du temps perdu, plusieurs manuscrits non publiés et l'énorme correspondance ont meublé plusieurs années de ma vie, et d'ou', je le crois, j'ai tiré le meilleur enseignement sur l'idée de "réminiscence".
On parlait de mémoire, plus précisément de celle qu'on efface, volontairement ou pas, mais dans les deux cas suivant des mécanismes psychologiques bien précis, et j'ai posé la question à savoir si l'
oubli d'épisodes traumatisants efface pour autant le traumatisme. En posant la question, j'avais autant Cyrulnik que Proust en tête. Je ne connais pas la position exacte de Cyrulnik sur cette question, à supposer qu'il en ait une, sauf que l'idée de résilience qu'il propose comme principe à la base du processus de guérison semble en indiquer une. La résilience c'est cette capacité humaine (que Cyrulnik détecte déjà chez l'enfant) de prendre acte de son traumatisme pour se sortir de la dépression. Le travail du thérapeute, si j'ai bien compris sa pensée, consisterait ainsi à accompagner le patient (ou client) à travers ce processus.
Une telle approche m'apparaît aller à l'encontre de la stratégie de l'oubli puisque, justement, on demande au patient de se "souvenir".
La représentation proustienne du fonctionnement de la mémoire me donne de la matière pour étoffer mon commentaire. Pour qui a lu Proust, le drame du coucher, surgit, après plusieurs années, d'une tasse de thé, comme si ce drame se vivait, par le phénomène de la réminiscence, pour la première fois. Le jeune Marcel, défiant l'autorité paternelle pour s'approprier de la mère, un soir d'agitation, n'a pas été vécu par Marcel, l'enfant, qui n'aura, somme toute, fait figure de fantôme - absent; c'est Marcel, adulte, qui avait oublié l'épisode (voire jamais enregistré parce qu'il n'y était pas complètement?), qui le vis (et non pas qui le revis) pour la première fois.
Par parenthèse, je suis assez confiant que mon interprétation de la réminiscence proustienne est correcte. J'ai dû relire tout le cycle de Combray une centaine de fois, sans exagérer, et presque autant de fois les nombreuses esquisses de ce passage qui ne sont publiées qu'en marge du texte, et je reconnais toujours le même lapsus (je te laisse le trouver si le coeur t'en dit mais on pourra en reparler). Or, l'acte narratif réminiscent du passé donnant au narrateur le recul nécessaire pour ajuster sa mémoire, comment se fait-il alors qu'il soit néanmoins perturbé au point de mêler la chronologie des événements? Proust, l'auteur, d'une esquisse à l'autre (il y en a plus d'une douzaine), aurait pu corriger le tir mais ne l'a pas fait, laisant subsister un lapsus évident qui, je le crois, n'es pas sans signification. Parenthèse fermée.
Si je ramène les deux auteurs dans le champ d'une seule pensée, je dirais qu'on n'oublie pas l'événement traumatisant (si "oublier" est compris dans le sens d'"effacer") mais plutôt qu'on ait fait en sorte de ne pas le voir alors qu'il se produisait. Ne pas le voir, cependant, n'implique pas qu'on ne l'ait pas "enregistré" et qu'il ne vit pas, quelque part, en nous, et qu'il ne produit pas ses effets. Le souvenir existerait en mode de latence, comme dirait Freud, il ne serait pas perdu de même qu'il ne créerait rien. Il ne ferait que se transformer (en mal de vivre, peut-être, ou autrement).
Si je suis bien Cyrulnik, est-ce que guérir ne reviendrait pas à transformer le négatif en du positif en prenant acte du négatif?
nb: je ne me suis pas relu. Désolé pour les fautes et les bris de syntaxe...