Elizabeth said:
Ziggy, j'aurais dû me rappeler que lorsque tu discutes sérieusement de prostitution, tu analyses toujours la situation d'un point de vue historique.
Je suis d'accord avec ta vision du passé mais peut-être moins avec celle du présent.
Par parenthèse, l'oubli du passé n'est jamais neutre et se manifeste presque toujours sous la forme d'un relativisme (comme le soulignait JAG ici, plus haut) dont l'effet est d'occulter certaines réalités, généralement, que le présent est chargé de son passé.
Dans le cas de la prostitution, du moins de la prostitution sous ses formes le plus répandues, ici et partout ailleurs (selon des proportions qui varient), je suis d'avis que le phénomène constituerait, dans une société qui serait résolument égalitaire, une
anomalie sociale. Quand je dis "égalitaire", je ne parle aucunement de ce que la logique anarcho-capitaliste souhaiterait faire entendre, c'est-à-dire, "jetons nous tous dans l'arène dès la naissance et que le meilleur gagne" - non - le sens égalitaire dont je parle est, au contraire, axé vers une économie participative, communautaire, n'excluant pas nécessairement l'esprit de compétition mais la réglant de manière responsable et civile. Plus spécifiquement, pour ce qui a trait spécifiquement à la prostitution féminine (n'oublions jamais qu'il existe une prostitution masculine, moins marginale qu'on ne le croirait), je parle aussi d'une égalité économique entre hommes et femmes.
Ceci dit, que la prostitution soit encore aujourd'hui un phénomène très répandu et certainement en croissance dans des régions dites défavorisées, indique certainement que nos sociétés, en général, sont encore très loin de l'utopie égalitaire: les femmes, mêmes dans les sociétés les plus évoluées à cet égard, sont encore moins bien payées, moins bien éduquées, que les hommes et n'oublions pas que le statut de mère monoparentale constitue encore aujourd'hui un lourd désavantage, désavantage que socialement et politiquement nous n'avons pas encore compensé.
Cet état inégalitaire, pour revenir à l'histoire, est très fortement enraciné dans notre histoire: celle des femmes et celle des démunis. L'oublier c'est s'exposer au danger que les phénomènes sociaux soient relativisés et, par le fait même, facilement récupérés à des fins idéologiques.
Elizabeth said:
Il est vrai qu'il y a encore beaucoup de progrès à faire pour que la sexualité féminine soit acceptée, respectée et satisfaite au même titre que celle des hommes. Cependant, je ne vois pas en quoi la prostitution serait nécessairement la manifestation d'un retard dans l'évolution pour une plus grande équité entre hommes et femmes. J'aimerais bien que tu nous en dises plus à ce sujet...
J'ai fourni une partie de ma réponse ci-dessus mais il faudrait aussi comprendre ce qu'est exactement la prostitution. Lorsque je parlais ci-dessus des formes les plus répandues de la prostitution, je parlais de celles qu'on ne voit à peu près pas ici, sur ce forum. Si l'on s'en tient à la scène montréalaise, on pourrait presque croire que la prostituée serait la manifestation d'une forme d'émancipation de la sexualité féminine, une sorte de pouvoir, aussi, qui lui autorise de monnayer son désir, c'est ce genre de portrait qui est projeté sur ce forum de discussion et ailleurs: les indépendantes y règnent, celles qui ont ce privilège de choisir leurs clients, leurs heures et leurs tarifs; de se retirer quand bon leur semble, libres de leurs choix - des courtisanes modernes, belles, intelligentes et éduquée. Il y aussi, très présentes, les demoiselles d'agences, sans doute moins libres mais jouissant, à divers degrés et selon les agences, d'une liberté relative: on les plaint souvent mais la plupart diront que ce n'est pas si mal, qu'elles gagnent relativement bien leur vie, etc. Ce sont ces prostituées qui dominent la scène cybernétique. Cybernétique, sans doute, mais pas la scène très élargie dans laquelle se joue au quotidien la prostitution: les pimps scabreux, la rue, les motels miteux, les petites annonces de journaux et, jusqu'à un certain point, l'internet. Pratiquement tous les rapports l'indiquent: la grande majorité des prostituées travaillent sous des conditions pathétiques. Si cela est vrai pour une ville comme Montréal, imagine un instant Saigon ou Bogota!
Une fois qu'on est le moindrement en contact avec ces réalités, on comprend très vite que la prostitution, sous ses formes les plus répandues, porte en elle l'histoire des femmes, de leur asservissement, de leur misère.
Elizabeth said:
Tu as raison, socialement, la prostitution n'est pas reconnue comme un métier mais reste qu'elle en est tout de même un. Ou je devrais plutôt dire "peut en être un". Je crois que cela dépend de la façon qu'une femme aborde et gère cette occupation.
Pourquoi es-tu si certain qu'une femme ne choisirait pas une voie marginale? Dans la vie, plusieurs chemins hors normes nous sont présentés et certaines personnes prennent plaisir à les emprunter.
La prostitution sous sa forme la plus émancipée - celle que j'ai brièvement décrite ci-dessus - existe, est probablement en progression là ou' les conditions socio-économiques s'y prêtent, mais demeure, dans le cadre plus large de toute la prostitution, l'exception. Mondialement, la plupart des prostituées sont forcées de l'être. Dans le cadre plus restreint de l'Occident, les proportions varient mais les conditions socio-économiques et les vestiges inégalitaires du passé demeurent encore de puissants déterminants. Dans le cadre canadien, les proportions varient davantage mais il existe encore beaucoup plus de prostituées de rues que l'on semble vouloir projeter et qu'on n'essaie pas de me faire croire que la jeune demoiselle qui s'enferme, la nuit, dans une cabine de peep show avec un étranger pour $50, fais ce métier par choix et qu'elle "gère" son business! C'est ça aussi, et beaucoup à Montréal, la prostitution; ce l'est encore beaucoup plus ailleurs.
Elizabeth said:
Il est certain que le rejet social associé à la prostitution est très difficile à vivre mais la plupart des métiers très payants ont leur lot de conséquences pénibles.... Peut-être que certaines femmes choisissent de vivre avec cette pression en se disant que les bénéfices qu'elles retirent compensent amplement?
Tant qu'on parle de prostitution émancipée, je suis d'accord. Pour le reste, la tentation de la prostitution tient le plus souvent (et passe-moi l'expression) d'un besoin urgent de se sortir de la merde. Les humains sont "résilients" (comme le dirait Boris Cyrulnik): dans des conditions de survie, ils sont capables de passer à travers toutes les horreurs et, donc - oui - pour répondre à ta question, les bénéfices qu'elles retirent compensent. Amplement? À très court terme, il semblerait que oui, mais il faut comprendre aussi comment fonctionne la résilience humaine. Très - trop - souvent les prostituées aboutissent, en fin de carrière, à peu près au même point d'ou' elles sont parties et très - trop - souvent - plus mal qu'elles ne l'étaient. Parce que la résilience humaine n'est seulement une question de volonté humaine: elle se manifeste très - trop - souvent par des mécanismes de défenses lesquels, si trop souvent sollicités, peuvent laisser de graves séquelles psychologiques. Combien de prostituées aboutissent en thérapie? Pas assez à mon avis parce que je dirais avec confiance qu'un grand nombre en profiteraient - on dirait simplement qu'elles n,arrivent jamais à s'en sortir et que celles qui s'en sortent, le font au prix de tentatives de suicide et thérapies. Ne pas le dire est un crime.
Elizabeth said:
Je trouve le terme "désespoir" économique un peu fort. Je parlerais plutôt de difficultés économiques car cette expression touche un plus grand nombre de femmes. Oui, certainement, cet aspect influence la décision d'une écrasante majorité de femmes qui entrent dans ce métier. Mais qu'en est-il de la jeune femme intelligente mais qui, pour une raison ou une autre, n'a pas fait d'études et décide de faire un travail qu'elle déteste dans le seul but d'avoir un toit au-dessus de sa tête et de la nourriture sur la table? Est-ce mieux pour elle?
Je suis d'accord en autant qu'on parle du segment le plus restreint des prostituées. Les autre, c'est matière à débat et j,ai fourni mes arguments à ce sujet.
Elizabeth said:
Plusieurs emplois sont choisis par dépit. Je l'ai moi-même vécu. Et lorsque je suis devenue escorte, je me plaisais à dire à ceux qui connaissaient mon occupation : "enfin, je suis payée pour faire quelque chose que j'aime dans la vie!". Et c'était vrai.
C'est vrai. Le critique marxiste dirait que tout emploi l'est - enfin - qu'il est déterminé par les forces du Capital. Ceci dit, pour te parler de façon plus directe et pour avoir connu jusqu'à un certain point ton approche personnelle du métier, tu représente quand même une exception et j'irais plus loin en disant que tu es presque une exception même au niveau des escortes qui annoncent sur merb. Dis-toi une chose: pour une Élizabeth ou pour une Layla Karina ou Lilly Lombard, il y, juste à Montréal - quoi? - une vingtaine de filles d'agences? Une cinquantaine d'incalls? Une centaine de
Street Walkers?
Elizabeth said:
La prostitution est une solution parmi tant d'autres pour sortir du marasme économique. Et ce n'est pas toujours la pire.
Clairement mais j'aimerais voir certaines formes de prostitution disparaître d'elles-mêmes et disparaître parce que les femmes ne se sentitont pas obligées ni même tentées de s'y adonner. La prostitution qui est mise à l'honneur sur les forums de discussion, personellement, je la trouve à moitié acceptable.